Snobisme, ignorance ou réel intérêt?
Quid du Cumberland?
Je constate souvent un manque d’intérêt pour les tuyaux de pipes alors qu’ils contribuent très fortement à leur qualité globale et au plaisir qu’on a à les fumer.
Cela explique plus instinctivement ce qui nous fait toujours revenir à telle pipe plutôt qu’à une autre et pourquoi certaines ne sont plus invitées dans la ronde.
Il n’est pas question ici de faire un exposé dogmatique sur toutes les matières et techniques concernées. Je n’en n’ai pas la prétention et je vous ennuierais.
Je souhaite simplement discuter des tuyaux en ébonite que tout fumeur de pipe a déjà eus en bouche.
Plus exactement de l’ébonite mais surtout d’une variété mal connue, le Cumberland.
Pas une journée ne se passe sans qu’on ne me questionne avec assurance sur les tuyaux de pipe en “plastique”, l’ébonite étant visée.
Alors coming out scientifiquement établi sur l’ébonite:
L’utiliser pour faire un tuyau de pipe a un avantage essentiel qui est la souplesse sous la dent, le confort en bouche.
L’inconvénient substantiel demeure le souffre. Caractéristique d’une minorité, il ne se fait pas oublier voire prend le dessus selon les occasions. L’humidité est radicale. De la salive à la pluie, le tuyau va ternir car l’eau permet au souffre de s’exprimer. Il se libère au détriment de l’esthétique et… du goût… du tuyau. La lumière, artificielle comme naturelle, peut également dégrader l’ébonite.
Fumez une pipe au tuyau ébonite devenu verdâtre, jaunâtre et vous comprendrez votre malheur !
Si vous n’y voyez pas de problème, alors c’est que vous êtes prêt à déguster un “œuf de 100 ans” concocté par les meilleurs chefs.
Revenons à nos pipes, à nos tuyaux en ébonite et mieux encore en “Cumberland”.
Comme l’ébonite n’est pas du plastique, le Cumberland n’est pas du bois.
Il en a l’apparence, il se travaille de la même façon mais il n’est qu’un mélange de différentes ébonites, donc reste de l’ébonite.
Alors pourquoi l’appelle-t-on “Cumberland” ?
Parce que la pipe ressemble au Jazz et que souvent les plus petites anecdotes font les grandes histoires.
Si le terme de “Cumberland” s’est répandu, c’est grâce à la fameuse marque anglaise au point blanc, Dunhill.
Pourquoi?
Des pipes Dunhill Root Briar (finition lisse et claire) datant des années 1930, montées avec des tuyaux en Cumberland, ont été retrouvées dans un entrepôt londonien situé “Cumberland Road”. La messe est dite.
Le nom de la rue se réfère à une région anglaise comme en France nous pouvons trouver des rues “d’Alsace” ou de “Bretagne”.
En 1979-1980, Dunhill a lancé sa dorénavant fameuse finition “Cumberland” où le tuyau (évidemment en Cumberland) s’assortit d’une bruyère sablée dans les mêmes tons.
Aujourd’hui, les avantages qualitatifs, sensoriels et esthétiques du Cumberland sont largement reconnus.
De nombreux pipiers exigeants l’utilisent. De nouvelles couleurs d’ébonite ont pu être développées en jouant notamment sur la teneur en souffre.
Notre humble MOF national, Pierre Morel, l’utilise depuis longtemps agrémenté pour la première fois d’ un généreux perçage et d’une lentille subtilement ouverte et adaptée à l’équilibre général de la pipe.
Dans sa lignée, Bruno Nuttens l’adopte souvent pour ses plus belles pipes. Il n’hésite pas à nous proposer des couleurs vives aux nuances inattendues.
Mais n’oubliez pas que la matière du Cumberland ne peut se prêter au bling-bling rutilant. Pour réaliser le tuyau d’une pipe Dracula avec toute l’épouvante qu’elle doit véhiculer, mieux vaut de l’acrylique flamboyant et imperturbable.
Le Cumberland, naturel et fragile, nécessite un fumeur bienveillant, attentif.
Cet article n’est absolument pas un réquisitoire contre l’acrylique qui présente des qualités indéniables. Les excellentes pipes italiennes Castello n’ont que des tuyaux en acrylique taillés dans la masse. S’ils peuvent esthétiquement désorienter au premier regard, ils s’avèrent toujours les plus pertinents en bouche.
Est-ce que l’appréciation d’un tuyau en Cumberland relève du snobisme, de l’ignorance ou du constat en bouche ? A vous de juger. Mais c’est en effet un petit luxe abordable qui se mérite et s’entretient.
Tout est question de principe. Les fumeurs de pipes, par nature curieux, acceptent ces postulats qui reflètent les exigences de chaque fabricant. A condition que le plaisir suive en bouche.
Et j’y veille.
Marie-Aurélie Favre